Le street-art raconté par Codex Urbanus
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Mise à jour le 02/01/2024
Sommaire
L’œil mutin et le sourire coquin, Codex Urbanus nous retrouve au « Jules Jo », un de ces bistrots parisiens qui font le charme de Montmartre, son quartier et terrain d’expression favori. Nous découvrons un artiste atypique, et voyageons à ses cotés dans l'histoire du street-art.
Codex Urbanus, on le connaît surtout par les centaines d’animaux bizarroïdes qu’il a dessinés dans Paris. Il les nomme par leur nom latin, celui donné par le naturaliste Buffon. Mais l'absence de dénomination vernaculaire ne signifie pas absence de tendresse ! Bien au contraire, ses bêtes il les aime et il en est fier !
Un artiste et des bêtes…
« L’avantage du bestiaire [il compte fièrement plus de 600 animaux à son actif, ndlr], c’est que dessiner un animal c’est rapide et furtif. » Pratique donc, quand on peint en toute illégalité dans la rue, mais aussi parce que le vivant, le règne animal et la culture de l’imaginaire sont ses thèmes de prédilection. « J’éprouve un plaisir sensuel à dessiner des tentacules, des pattes ravisseuses, des ailes… »
Et il renchérit : « Mon plaisir c’est la liberté de la rue, en sauvage…
Quand on est seul face à un mur au milieu de la nuit, il y a une liberté qui n’a pas d’égal. Ceux qui pratiquent la rue sans autorisation savent ce
qu’est la liberté. » Le ton est donné.
Il opère au feutre POSCA, un marqueur à peinture qu’il brandit fièrement et dont il ne se sépare jamais : « Idéal pour dessiner
sur les murs, avec des mèches très résistantes… Vertical ou horizontal, le mur décide de ce que je vais dessiner : un rhinocéros c’est plutôt horizontal, un hippocampe plutôt vertical. »
Mais rapidement, peut-être au sourcil qu’on lève malgré nous, il précise : « Je ne travaille que sur des murs déjà peints… et
libres ! Nous sommes dans une ville très belle et je ne
peins pas sur des murs en pierres de taille ! J’attends un décrochement de
façade, un mur aveugle, ou un espace déjà peint et libre ! »
… dans la continuité de l’histoire de l’art
Rapidement, l’artiste exprime sa vision du street-art. « Le street-art c’est le fait de placer de l’art
gratuitement, systématiquement et sans autorisation dans l’espace public. Et
celui qui le fait est conscient de son activité artistique ; il se
considère comme un artiste : c’est le cas d’un Zlotykamien ou d’un Pignon-Ernest dès les années 1960, en France. D’un Invader ou d’un Philippe Hérard plus récemment. C’est mon cas… »
Le street-art c’est aussi une manière d’exister en dehors de chez soi ; de faire une irruption poétique et figurative dans le réel… Sans engagement politique nécessaire à la clé. « Cet engagement peut y être - c’est le cas d’un Banksy -, mais ce n’est pas nécessaire ».
C’est la principale différence avec le graffiti, qui apparaît dans les années 1960 et 1970 sur la côte est
américaine. Le graffiti est un mouvement issu de la Zulu-Nation, du ghetto américain. C’est du lettrage revendicatif visant à indiquer
la propriété d’un territoire aux autres graffeurs. À l’origine, un graffeur ne se considère pas
comme un artiste, contrairement à un street-artiste.
« Moi je ne suis pas là pour dire que Montmartre m’appartient ;
c’est mon terrain d’expression, à la fois mon canal de plaisir et celui qui me permet de
montrer mon art. »
Dans les années 1980, le graffiti arrive en France et il y a
des croisements avec le street art grâce à l’utilisation de techniques comme le pochoir
et la bombe aérosol. C’est ainsi que naissent des artistes comme Kenny Scharf ou Monsieur Chat.
Le street-art permet un retour en grâce des images et de la peinture.
Le street-art permet au public de renouer avec les images, qui n’existent plus vraiment dans l’art académique contemporain. « Il suffit
d’aller au FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain) pour s’en rendre
compte : on y voit de l’art de la démarche ; une accumulation de
chaises, un tableau lacéré, des amoncellements de parpaings… mais pas ou peu
d’images. Il n’y a pas de street art dans les collections publiques ; il y
a zéro Keith Haring au Centre Pompidou… »
Les
gens ont besoin de voir des images. Et pour en voir, il reste la rue, le
tatouage ou la bande dessinée. En ce sens, « le street-art, c’est la résistance de la peinture et de l’art graphique à Marcel
Duchamp ».
C’est ce qui explique l’engouement actuel du public pour
l’art de rue, « similaire à celui suscité à Rome au XVIIe siècle par les tableaux du
Caravage ».
Le street-art a acquis ses lettres de noblesse en produisant
de grands noms de l’histoire de l’art : Basquiat, Keith Haring,
Banksy… pour ne citer qu’eux.
Paris, une galerie à ciel ouvert
« Paris est la capitale du street-art. Le street-art est
français avec Zloty ou Pignon-Ernest. À Paris, ça foisonne comme nulle part ailleurs ! Le pochoir
c’est parisien, avec un Blek le Rat, qui revendique la paternité d’un
Pignon-Ernest, et qui inspirera un Banksy. Le collage en hauteur c’est
parisien, avec les mosaïques d’un Invader. »
La Ville ne
nettoyant pas au-dessus d’une certaine hauteur pour une raison d’assurance des
employés, une kyrielle d’artistes emboîtera le pas à Invader : c’est le cas de Le Diamantaire, Bastek, ou Gzup.
Chaque coin de rue, à Paris, est une galerie d’art à ciel ouvert.
L’implantation géographique du street-art répond elle aussi à des raisons très pragmatiques. Si l’on veut voir du vandale, c’est-à-dire du fait sans
autorisation dans l’espace urbain, il faut aller dans des quartiers où il y a
beaucoup de murs, ce qui exclut l’Ouest parisien. Il faut aller à l’Est et au
Nord : Montmartre (Codex Urbanus, Gregos), la Butte aux Cailles, le canal de
l’Ourcq (Da Cruz), Belleville (Ender), Ménilmontant
(Fred le Chevalier, Philippe Herard, Ender) et, bien sûr, le 13e.
Pour voir de l’art autorisé, il y a des lieux où des
associations organisent des turn over
d’artistes avec de la programmation : c’est le cas d’Arta Zoï, du mur
Oberkampf ou du Spot 13. Il y a aussi des endroits non ouverts, qui bénéficient
d’une certaine tolérance comme le mur Ordener (18e), ou la pointe
Poulmarche (10e) au bord du canal Saint-Martin. Il y avait également la
rue Desnoyers, à Belleville.
Enfin, il y a le boulevard Paris 13 dans le 13e,
avec du muralisme XXL sur des façades d’immeubles des années 1960 et 1970, organisé à
l’initiative de la mairie du 13e et de galeries comme Itinérance ou
Mathgoth, qui font venir de grands noms internationaux du street art.
Le street-art en question
Aujourd’hui plusieurs
menaces pèsent sur le street-art. Les caméras dans la rue et la surveillance
faciale en sont une. Mais le principal problème reste celui de la conservation. Le street-art est un vecteur
d’intérêt pour les gens qui s’intéressent à l’art contemporain, ça leur permet
d’en avoir une première approche. « La balle est dans le camp des pouvoirs publics avec
l’enjeu de la conservation. Ils doivent soutenir la Fédération de l’art urbain
qui tente d’archiver des photos, de les numériser : avant les années 2000, les
images étaient chez les gens dans des boîtes à chaussures ! »
« On pourrait imaginer un CENTQUATRE-PARIS pour l’art urbain, avec une collection permanente, une programmation et surtout des archives visuelles. En gros, il faudrait créer un fonds de l’art urbain. Il est là l’enjeu ! Car si la caméra et la reconnaissance faciale gagnent, on n’aura plus rien à montrer, et on aura tout perdu. »
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